L’année 1816 fut l’année sans été en Europe et aux Etats-Unis, et même jusqu’en Chine. C’est ainsi que les historiens ont nommé cette année catastrophique. L’Europe connu des températures inférieures à 0 degré pendant l’été, des pluies glaciales, et toutes les récoltes furent détruites. Que s’est-il passé?
En 1812 et 1814, des volcans des Caraïbes et des Philippines avaient été très actifs, laissant dans l’atmosphère des tonnes de poussière. En 1815, un volcan d’Indonésie, le Tambora, a explosé, un peu à la manière du Krakatoa en 1883. L’explosion du Tambora fut décrite par des témoins et transcrite par les chroniqueurs de l’époque.
“Le 5 avril 1815 eut lieu une première éruption donnant une colonne éruptive de 33 km de hauteur et qui dura 33 heures. Le paroxysme de l’éruption eut lieu 5 jours plus tard, le 10 avril. Vers 10h du matin, une colonne éruptive de 44 km de haut monta dans le ciel, mais l’éruption dura seulement 3h. Vers 7h de l’après-midi, l’activité du volcan augmenta, suivi une heure plus tard d’une pluie de ponce sur le village de Sanggar, 30 km à l’est. Le volcan à ce moment était alors surmonté d’après les témoins de trois « colonnes de flammes », en fait trois colonnes éruptives. La chute de pierres ponces dura jusqu’à 10h du soir, lorsque le village de Sanggar fut ravagé par une onde de choc. Vers ce moment, toujours d’après les témoins, les trois colonnes fusionnèrent et la montagne ne fut plus qu’une masse de « feu liquide ».”
Le volcan tua directement 11’000 personnes et le tsunami qui suivi environ 50’000. La poussière du Tambora, ajoutée à celle des autres volcan, fit un nuage sur l’hémisphère nord pendant presque deux ans. Le soleil étant voilé, voire absent pendant toute l’année 1816, la température se refroidit dramatiquement.
“En mai 1816, le gel détruisit la plupart des récoltes qui avaient été plantées et en juin deux grands blizzards dans l’Est du Canada et en Nouvelle-Angleterre entraînèrent de nombreuses morts. C’est presque un pied de neige qui fut observé dans la ville de Québec au début de juin. En juillet et août, on vit de la glace sur les lacs et les rivières aussi loin vers le sud qu’en Pennsylvanie. Des différences rapides et extrêmes de température étaient habituelles et des températures normales ou proches de la normale en été, allant jusqu’à 35 °C, pouvaient tomber au-dessous de zéro en quelques heures.”
Les conséquences humaines furent particulièrement graves:
“L’Europe, qui n’était pas encore rétablie des guerres napoléoniennes, connut une crise alimentaire. Des émeutes de subsistance éclatèrent en Grande-Bretagne et en France et les magasins de grains étaient pillés. La violence fut la pire en Suisse, pays privé d’accès à la mer, où la famine força le gouvernement à déclarer l’état d’urgence. Des tempêtes d’une rare violence, une pluviosité anormale avec débordement des grands fleuves d’Europe (y compris le Rhin) sont attribuées à l’événement, comme l’était le gel survenu en août 1816. Un documentaire de la BBC réalisé en Suisse estimait que les taux de mortalité en 1816 étaient cette année deux fois supérieurs à la moyenne avec au total deux cent mille morts.”
Les populations en étaient souvent réduites à manger des racines, quand celles-ci n’étaient pas gelées. Les couchers de soleils avaient pris des
teintes psychédéliques, et le peintre Turner en témoigne dans certains tableaux de cette époque. En fait tout l’hémisphère nord fut atteint:
“L’éruption du Tambora donna aussi en Hongrie un exemple de neige marron. L’Italie connut quelque chose d’analogue, avec de la neige rouge qui tomba tout au long de l’année. On croit que la cause en était la cendre volcanique contenue dans l’atmosphère.
En Chine, les températures exceptionnellement basses de l’été et des trombes d’eau furent désastreuses pour la production de riz dans la province du Yunnan au Sud-Ouest, avec comme résultat une famine générale. Fort Shuangcheng, aujourd’hui dans la province de Heilongjiang, signala que des champs avaient été ravagés par le gel et qu’en conséquence les conscrits désertaient. Des chutes de neige en été se produisirent en différents endroits dans les provinces de Jiangxi et d’Anhui, toutes les deux dans le Sud du pays. À Formose, pourtant sous un climat tropical, on vit de la neige à Hsinchu et à Miaoli, et du gel à Changhua.”
19ème siècle : la Suisse, pays d’émigration*
(Source:Textes du « Journal Mural » de l’exposition Vivre entre deux mondes » présentée du 13 juin au 2 novembre 2003 au Musée historique de Lausanne par l’association Vivre ensemble)
Plus de 500.000 Suisses choisissent l’émigration pour fuir les conditions de vie misérables de leur pays.
Un taux migratoire énorme par rapport à une population qui passe de 2 millions d’habitants en 1800, à plus de 3 millions en 1900.
Deux grandes famines frappent la population suisse au XIXè siècle, en 1816 et en 1847. Ces crises alimentaires ont entraîné l’émigration massive d’une partie de la population tombée dans l’indigence
1816
En 1816, il neigea au mois d’août de cette « année sans été ». Ce climat dépressionnaire avait été déclenché, nous le savons aujourd’hui, par l’éruption du volcan Tamboro à Java, en 1815, qui avait provoqué au cours de l’été 1816 une sorte d' »hiver nucléaire ».
On observa des cortèges d’affamés en Suisse orientale et on dénombra plus de 10.000 personnes mortes d’inanition.
La crise fut beaucoup moins marquées dans le canton de Vaud, pour lequel on peut parler d’une disette.
1847
Entre 1845 et 1850, la pourriture a détruit les récoltes de pommes de terre, ce qui fait grimper les prix des denrées alimentaires. Il s’agit de la même épidémie de mildiou qui fit 1,5 million de morts en Irlande à la même époque, et qui provoqua l’émigration de 1 250 000 Irlandais en Angleterre et aux Etats-Unis.Le foin et les herbes fraîches étaient pour beaucoup la nourriture quotidienne. Mais même une charogne putride ne décourageait pas les affamés. (…) On les voyait fouiller par dizaines dans les rues et les ruelles, sur des tas de fumier dégoûtants, dans les égouts à ciel ouvert, et avaler goulûment les plus misérables parcelles de nourriture, pelures de pommes de terre ou carottes en décomposition.
Au mois d’août 1846, en peu de temps, les champs semblaient avoir été dévastés par les taupes. Parsemés de petits tas de pommes de terre minables, sorties trop tôt de terre. On les ouvrait d’un coup de pied, elles éclataient, visqueuses, comme des blessures d’où sortait le pus. La nouvelle fatidique se répandit de village en village, la récolte était fichue, les pommes de terre pourrissaient.
Séchées et encavées, elles devenaient noires comme du cuir, et immangeables. Pour la plupart d’entre eux la pomme de terre était la seule nourriture.
C’est alors que le mot « émigration » fut soudain sur toutes les bouches.
L’agent d’émigration Paravicini vint à Matt pour s’exprimer devant le Conseil communal.
Entre 1801 et 1813, l’espérance de vie est de 38 ans et demi. Vers 1880, elle passe à 50 ans et demi.
Un enfant sur 5 meurt avant d’avoir atteint l’âge d’un an.
Le manque de terres à cultiver pour les paysans, la crise de l’artisanat dans la première partie du siècle et la crise industrielle à partir de 1870 provoquèrent une crise sociale sans précédent dans le pays.
Ces bouleversements ne firent qu’accroître le nombre de pauvres, de mendiants, d’assistés, de heimatloses. Dans les années 1830, le canton de Vaud fit une enquête sur le paupérisme et constata que la moyenne des assistés était en fait de 10,6% de la population totale.Un rapport officiel de 1834 sur les « bourgeois assistés » fournit des chiffres encore plus élevés pour des districts tels que Moudon (14,9% d’assistés), Pays d’Enhaut (15,1%), Echallens (16,7%), La Vallée (18,3%) et Oron (19,2%). Il faut noter que les enquêteurs vaudois ne mettent pas en cause le chômage ou tout autre facteur économique, mais bien plutôt la prétendue fainéantise de l’assisté.
Une grave crise industrielle touche la Suisse de 1870 à 1895. La pauvreté y atteint une importance encore jamais vue dans notre pays.
En 1878, le Journal de Fribourg déplorait le nombre des enfants demandant la charité aux portes des auberges, importunant les étrangers et ternissant ainsi l’image de la civilisation de la ville.
La Confédération réalisa une première enquête statistique sur la pauvreté. Pour l’année 1890, on dénombra plus de 119.000 assistés pour lesquels les pouvoirs publics dépensaient près de 19 millions de francs. L’émigration reprit de plus belle. Les épidémies de typhus – mais surtout de tuberculose – firent des ravages dans les milieux populaires où l’espérance de vie atteignait seulement 34 ans, alors que la moyenne des Suisses à l’époque se situait à 43 ans.
De 1850 à 1888, plus de 200.000 Suisses changent d’horizon et de condition.**
( Source:Hélène Beyeler-Von Burg)
Absorbant les trois quarts des départs pour le lointain, l’Amérique attire d’abord une émigration « de débarras », puis les paysans, attirés par les espaces vides du Centre-Nord et plus tard de l’Ouest. Suivent les artisans et les ouvriers.
En 1880, la moitié des Suisses émigrés habitaient sur le continent américain, et l’autre moitié en Europe.
A partir de la première moitié du XIXème siècle, un formidable espoir secoue l’Europe : pour tous les peuples écrasés, opprimés, oppressés, asservis, massacrés, pour toutes les classes exploitées, affamées, ravagées par les épidémies, décimées par des années de disette et de famine, une terre promise se mit à exister : l’Amérique, une terre vierge ouverte à tous, une terre libre et généreuse où les damnés du vieux continent pourront devenir les pionniers d’un nouveau monde, les bâtisseurs d’une société sans injustice et sans préjugés. Pour les paysans irlandais dont les récoltes étaient dévastées, pour les libéraux allemands traqués après 1848, pour les nationalistes polonais écrasés en 1830, pour les Arméniens, pour les Grecs, pour les Turcs, pour tous les juifs de Russie et d’Autriche-Hongrie, pour les Italiens du Sud qui mouraient par centaines de milliers de choléra et de misère, l’Amérique devint le symbole de la vie nouvelle, de la chance enfin donnée, et c’est par dizaines de millions, par familles entières, par villages entiers que, de Hambourg ou de Brême, du Havre, de Naples ou de Liverpool, les immigrants s’embarquèrent pour ce voyage sans retour.
On estime qu’entre 1846 et 1924 ce sont au total quelques 55 millions de personnes (émigration brute) qui ont quitté l’Europe pour l’Amérique, dont environ un quart est revenu (retour migratoire), de telle sorte que l’émigration réelle se situe à 41 millions de personnes.
Agences d’émigration
L’émigration fait naître une nouvelle branche professionnelle : les agences qui organisent le voyage, souvent en exploitant la situation sociale difficile des émigrants.Ces agences, qui jouissent du soutien de personnalités politiques et économiques, vont se multiplier à partir de 1850. Prenant un tour de plus en plus spéculatif, on en comptera jusqu’à 300 sur le seul territoire de la Confédération.
La maison Zwilchenbart, de Bâle, offre un accord à 10 louis d’or (160 SFr.), comprenant :
- – le parcours en diligence de la Suisse au Havre avec 60 livres de bagages
- – les frais du séjour au Havre
- – le prix du passage, sur l’entrepont, pour New York ou la Nouvelle Orléans, comprenant les vivres, à savoir: 40livres de biscuit; 5 livres de riz; 5 livres de farine; 4 livres de beurre; 14 livres de jambon; 2 livres de sel; 1 hectolitre de pommes de terre et 2 litres de vinaigre.
Lettre du consul de Suisse au Havre Friedrich Wanner au Conseil fédéral, le 19 mai 1849 : »L’existence des agents est la véritable plaie de l’émigration; et il faut extirper ou du moins arracher à ces agents autant de victimes que possible. Car l’émigrant est en général ignorant et insouciant, c’est un mineur qui devient dupe ou victime dès qu’il agit sans son tuteur. Inscrit et embarqué sur son navire, il en ignore le nom, et que de fois il s’embarque indifféremment pour New York ou pour la Nouvelle Orléans sans se douter de l’énorme distance qui sépare ces deux villes. Arrivé à New York, il s’est laissé voler sa malle, soit à bord, soit au débarquement, et par malheur, sa malle contenait une lettre de change sur New York. Il va chez son consul lui conter son malheur. – Par quel navire êtes-vous arrivé? – Je ne sais pas. – Sur quelle maison la lettre de change est-elle tirée? – Je ne sais pas. – Par qui, et d’où était-elle tirée? Le pauvre diable n’en sait pas davantage. »
Les communes se débarrassent de leurs pauvres et de leurs «droit commun »
Dans les années 1840, de nombreuses communes ont commencé à se débarrasser de leurs miséreux, en poussant avec insistance leurs citoyens pauvres à l’émigration. Elles allaient jusqu’à payer leurs pauvres et à libérer les prisonniers de droit commun pour qu’ils émigrent.
Requête du comité de la Société suisse de bienfaisance de New York au Conseil fédéral, 25 avril 1849
Nous sommes témoins de la coupable légèreté avec laquelle des communautés de notre patrie se débarrassent de leurs pauvres de paroisse, de leurs membres les plus incapables de gagner honnêtement leur pain, souvent même de familles nombreuses avec des enfants en bas âge, pour les jeter dès leur arrivée, dénués et misérables, sur les bras de la charité américaine ou de notre société.
L’immigration a fini par envahir les Etats du littoral de nuées de prolétaires qui s’arrachent le moindre gagne-pain avec presque autant d’acharnement que dans les pays dont ils voulaient fuir la misère.
Les communes jouent aussi un bien triste rôle. Pour se débarrasser des bourgeois incommodes, elles envoient des femmes, des enfants à une mort certaine. En effet, nous voyons, d’après les renseignements que nous donne le rapport de M. le Consul E. Kohler, à Bahia, que le plus grand nombre des émigrants ont reçu de leur commune des subsides pour payer leur voyage, cet argent leur ayant été remis en mains propres ou ayant été payé aux agents d’émigration. Nous n’avons pas besoin d’insister pour vous faire remarquer tout ce qu’il y a de répréhensible dans cette manière d’agir de la part d’autorités communales qui encouragent ainsi ceux de leurs ressortissants dont elles désirent se défaire, à émigrer pour des colonies sans s’être informées de l’avenir qui leur est réservé, car nous ne pouvons supposer qu’elles aient connu la vérité et pour commettre une action qui dans ces circonstances pourrait être qualifiée de criminelle.
Déjà à plusieurs reprises nous avons été obligés de dénoncer à des Gouvernements cantonaux des Communes qui s’étaient laissé entraîner à se défaire ainsi de leurs ressortissants pauvres.
Parmi les innombrables trajets accomplis par les émigrés, il y avait une expérience commune quasi mythique: la traversée de l’Atlantique.
Très tôt des histoires terrifiantes ont circulé, sur les naufrages, les épidémies, sur cette promiscuité inhumaine qui faisaient de ce voyage un constant combat contre la mort.
Le voilier «William Nelson» a brûlé corps et biens en pleine mer en juillet 1856, sur la route d’Anvers à New York. Le bateau avait 480 passagers à bord, dont un petit nombre a été sauvé. Sur les 176 Suisses, 24 seulement ont survécu.
Selon les statistiques officielles, 13’657 naufrages se seraient produits entre 1851 et 1862 sur les côtes anglaises et irlandaises, faisant 8’775 victimes.
Lettre du chapelier Märk, embarqué en 1817 à bord du navire mal nommé, «Good Hope»
Le manque de vivres, les remèdes insuffisants, la cruauté du capitaine et la maladie contagieuse d’une famille de passagers causèrent bientôt la propagation d’une méchante fièvre nerveuse. Et, lorsqu’il n’y eu plus, par adulte et par jour, que la valeur d’un verre à eau de soupe, les gens tombèrent comme des mouches. Tous les jours on jetait des cadavres par- dessus bord. A la fin, il ne restait plus une seule personne en bonne santé. Mais notre détresse devait encore grandir. Un beau jour, lorsqu’on voulut procéder à la distribution d’eau, on constata qu’une trentaine de tonneaux avaient été crevés et qu’il n’en restait que deux entiers. On ne nous donna donc plus d’eau. Pour finir, les matelots eux-mêmes tombèrent malades, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus que trois.
La traversée du «Good Hope» se solda par la mort de 82 passagers sur 350.
La montée de l’émigration de masse européenne dans les années 1830 allait provoquer une transformation technique décisive des traversées de l’Atlantique en bateau. En 1867, la traversée de l’Europe jusqu’aux Etats-Unis à la voile durait en moyenne quarante-quatre jours; l’apparition du bateau à vapeur réduisit le voyage à quatorze jours. Dans les années 1880, on pouvait atteindre New York en 10 jours depuis le nord de l’Europe. Après le début du siècle ce délai tomba à une semaine.
Le plus grand danger était celui des épidémies qui éclataient souvent pendant la traversée. Les maladies les plus fréquentes étaient le scorbut, la varicelle, la petite vérole et le choléra.
Les navires de passagers de ce temps-là étaient divisés en 3 compartiments: tout en bas se trouvait la cale, où l’on entreposait les vivres, les bagages et les munitions. Le second compartiment, dont le plancher correspondait en général à la ligne de flottaison du navire, était le redoutable entrepont. C’est là que voyageaient la plupart des passagers, dans des réduits étroits au plafond bas, entassés comme du bétail. Le troisième compartiment était le pont, à l’arrière duquel se trouvaient la cabine du capitaine et celles des émigrants aisés.
Accueil
L’arrivée dans le pays d’accueil signifie contrôle médicaux, quarantaine et, parfois, refoulement par les autorités locales.Celui qui débarquait sans le sou en Amérique était, en général, obligé de chercher du travail dans le port même où il avait débarqué.
Une lettre de 1829 dépeint le sort d’un groupe d’émigrants pauvres:
«Les uns furent recueillis par charité par des gens qui les employèrent à défricher et à cultiver la terre en échange de leur seule nourriture. D’autres se firent conduire en bateau à vapeur à l’intérieur des provinces éloignées où ils durent se débrouiller sans ressources dans des régions sauvages. Les femmes jeunes et fortes finirent par s’engager comme servantes, accomplissant les besognes les plus basses pour un salaire dérisoire.Tous les autres, la plus grande partie du groupe, errèrent en mendiant, furent arrêtés par la police et conduits dans des dépôts de mendicité où on les faisait travailler dur pour leur nourriture quotidienne. Totalement privés de liberté, ils ne peuvent quitter cet endroit, à moins qu’un citoyen de la ville ne soit disposé à fournir une caution».
Les choses se passaient comme au marché d’esclaves: on «achetait» ces malheureux, qu’on transportait comme manœuvres bon marché dans les régions marécageuses infestées de fièvres, on séparait brutalement les membres d’une famille, qui n’avaient sans doute jamais imaginé chez eux qu’ils seraient séparés pour ne jamais se revoir.Le matin du 19 juillet 1822, sur la Grande Place de Vevey, un groupe de trente personnes, réparties sur huit gros chars tirés chacun par trois ou quatre chevaux, entreprend le grand voyage de l’émigration.Direction : la mer Noire.Trois mois plus tard, après une longue marche de 2500 kilomètres, ils arrivent à Chabag.
C’est le début d’une aventure unique en son genre, la réussite d’une colonie basée sur la vigne, qui durera jusqu’à la seconde guerre mondiale et qui, attirera des centaines de Vaudois.
Après des débuts difficiles et une épidémie de peste, Chabag gagne son pari :
en 1825, 52 Suisses possédaient 104 000 ceps de vigne et 2000 arbres fruitiers; une génération plus tard, 252 colons possédaient plus de 200 000 ceps des meilleurs cépages européens; une génération plus tard, 3 millions de cep.Bien qu’en 1861 l’enseignement du russe devienne obligatoire, les émigrés conservent profondément leur culture suisse et romande. Il faut dire qu’on se mélange peu dans la Russie tsariste, fort éloignée du melting pot américain…
Ce sont les turbulences historiques qui déstabiliseront la colonie, notamment la Révolution bolchévique de 1917. Le Traité de Versailles détache en 1919 la Bessarabie de la Russie pour la donner à la Roumanie. Chabag devient Saba-Colonie: coupé du port d’Odessa, la crise s’installe.
Les brutalités du siècle feront le reste et, en 1940, la colonie de Chabag a définitivement vécu.Setif – Algérie
En 1853-1854, près de 700 Vaudois quittent la terre qui les a vus naître. Destination : le SETIF.Cette émigration massive est constituée en majorité de personnes qui vivent dans l’agriculture, et qui appartiennent à la classe pauvre de la société vaudoise.
Octobre 1853 : recrutés par la Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif, 700 Vaudois émigrent en Algérie, dans la province de Constantine.
Cette Compagnie, fondée par des hommes d’affaires genevois à des fins spéculatives et colonialistes, a obtenu 20.000 hectares de Napoléon III, à charge de faire construire 10 villages de cinquante feux et de les peupler en 10 ans.Henri Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, compte parmi ses principaux administrateurs.Pour recruter des émigrants, la Compagnie genevoise s’est livrée à une intense propagande dans le canton de Vaud. Avec succès puisque l’écrasante majorité des partants sont des Vaudois, dont plus de la moitié vient du Gros de Vaud et de la région de Rolle, correspondant aux districts d’Echallens, Moudon, Cossonay, Orbe, Morges et Oron.Les départs sont souvent subventionnés par la commune d’origine, soulagée de voir ses pauvres s’expatrier à jamais. L’émigration apparaît comme un remède efficace pour se débarrasser des indigents.Mais comme beaucoup d’établissements coloniaux de l’époque, les lots sont occupés par des fermiers et la propriété des terres se concentre dans les mains de quelques uns. Découragés, les Suisses tombent rapidement dans la misère. De plus, s’installant sur des terres déjà occupées, ils sont en butte à l’hostilité des indigènes.
Le résultat est d’autant plus pathétique, qu’en été 1854 une épidémie de choléra ravage Sétif et ses environs. 81 colons sont décimés par l’épidémie, la diphtérie et le typhus, dont des familles entières.
Plusieurs familles décident alors de rentrer en Suisse.Rapport d’Henri Dunant, 20 mois après l’installation des Vaudois :
« La démoralisation parmi les colons est complète. La maladie a commencé par de nombreux cas de fièvre typhoïde, par le choléra et l’angine, un certain nombre a succombé. »25 septembre 1845: Plus de cinquante personnes, pour cas de misère et de maladie, ont déjà quitté Aïn-Arnat. Plusieurs familles ont vu successivement mourir la plupart de leurs membres; il en est deux où les enfants seuls ont survécu. La fertilité du sol équivaut à peine celle de nos terrains communaux. La récolte qui jusqu’au mois de juin donnait quelques espérances, a été presque totalement consumée par la sécheresse; les Arabes ont fait le reste. (…)
Tels sont les renseignements fournis par des personnes qui ont été sur les lieux une année environ, et qui ne rapportent pour prix de leur courage et de leur dévouement que la déception et les tristes lambeaux d’une santé délabrée.
Espérons que la générosité de nos concitoyens ne leur fera pas défaut et que l’expérience de quelques-uns servira au plus grand nombre.Un habitant d’Ollon, le 16 octobre 1854 (Paru dans Le Nouvelliste Vaudois, 26 octobre 1854) : Pécos
C’est pas le Pécos!
(expression vaudoise signifiant : c’est pas le Pérou!)
Pendant l’été 1891, une brochure intitulée « La contrée du Pécos » circule dans les milieux agricoles romands. Elle a été rédigée par Henri Gaulieur, un homme d’affaire bernois, associé à une compagnie d’irrigation du Nouveau Mexique et financé par la banque genevoise Lombard, Odier et Cie.
Illustrée par des images de courges gigantesques, d’oignons plantureux et de récoltes fructueuses, cette brochure de propagande promet aux paysans d’ici une Terre Promise où « il suffit d’un labour pour défricher le sol et pour l’ensemencer. Le colon récoltera déjà en juin tout ce qu’il sèmera en mars ».Alléchés par ces perspectives radieuses, plus de 200 colons de Lavaux, parmi lesquels de nombreux paysans et vignerons de Corseaux et Vevey, se lancent dans l’aventure.
Malheureusement pour les Emery, Magnenat, Delafontaine, Herminjard et autres Ramuz, la désillusion sera aussi cruelle que totale.Sur cette terre aride et desséchée, couverte de méchants cactus et infestée de serpents, où la température passe de -17 en hiver à +45 en été, balayée par des vents violents que les émigrés appelleront « la brise Gaullieur », il est impossible de cultiver quoi que ce soit.
L’eau est salée et forme en séchant une croûte sur laquelle rien ne peut pousser. Elle favorise de plus la transmission d’une fièvre apparentée à la typhoïde, qui va emporter des colons par familles entières.Il ne reste plus qu’aux malheureux colons, floués et abusés, à quitter ce village de Vaud qu’ils avaient fondé dans la vallée du Pécos. La majorité d’entre eux va retourner piteusement sur les bords du Léman, ruinés et faillis. Une petite partie d’entre eux, incapables d’affronter la honte d’un retour au pays natal, décident de partir chercher fortune sous d’autres cieux.
Les poursuites intentées contre Gaullieur n’auront pas de suite. Il est vrai que l’argument que la Compagnie fait valoir pour sa défense est imparable : « Si vous avez cru tout ce qu’on vous a raconté, tant pis pour vous ».Nova Friburgo :A Estavayer-le-Lac, le 4 juillet 1819, 800 émigrants s’apprêtent à rejoindre le Brésil pour y fonder la ville de Nova Friburgo. On compte parmi eux 90 Vaudois, ainsi que 120 Heimatslosen (sans patrie, sans papier) que les tribunaux ont forcé à l’exil, en les gardant parfois plusieurs mois en prison jusqu’au jour du Grand Départ.
Pour l’heure l’émotion est considérable et la Gazette de Lausanne raconte qu’un Vaudois s’agenouille, baise la terre en s’exclamant : Adieu ma patrie!
Arrivés à Amsterdam, les colons doivent attendre 6 longues semaines, au cours desquelles une cinquantaine de colons meurent des fièvres contractées dans les miasmes du Rhin. Puis ils s’embarquent enfin pour le grand voyage transatlantique. Après une traversée extrêmement pénible (sur le bateau « Urania » on comptera 100 morts pour 430 passagers), 1630 Suisses arriveront sur un total de 2006 partants.
Les débuts de cette colonisation s’avèrent catastrophiques. Mauvaise récolte, inondations, maladies et aide parcimonieuse du Gouvernement brésilien, incitent le trois quarts des colons à quitter leur nouveau territoire pour tenter de faire fortune ailleurs.
Ainsi quelques années plus tard, en 1824, après bien des déboires, une bonne moitié des Suisses est partie de Nova Friborgo pour aller planter du café sur les côtes maritimes.
Mais des irréductibles résistent. Aidée par un mouvement philanthropique international, la colonie échappera à la mort. Reste que l’expérience de départ, à savoir une colonie favorisée par un gouvernement indigène s’est soldée par un échec.